Il fut mon maître et le restera toujours…

LA RÉSONANCE par Mony Elkaïm.

Quand un thérapeute rencontre un patient – singulier ou pluriel, individu ou couple, voire famille – un pont se construit entre lui et les autres membres du système. Ce pont est toujours unique, toujours singulier. Il se forme à la fois à partir de matériaux liés à l’histoire du thérapeute et d’éléments significatifs pour les patients, les membres du couple ou la famille en thérapie.
J’appelle ce pont une résonance. Ce concept a de multiples implications, que je ne développerai pas ici, mais l’une d’entre elles nous intéresse particulièrement : ce que ressent le thérapeute est évidemment lié à lui et à son histoire, mais n’y est pas réductible. Son vécu a aussi une fonction par rapport au système humain qui l’englobe – celle de protéger les constructions du monde des membres de ce système.

J’appelle construction du monde la façon dont chacun de nous organise une croyance personnelle à partir d’expériences répétitives dans sa propre histoire ou d’un événement traumatique qui l’a particulièrement marqué…

Imaginons par exemple une patiente dont le comportement est irritant pour le thérapeute. Dans une perspective classique, on cherchera les raisons de l’irritation du thérapeute dans son histoire propre (à quel élément de son vécu le comportement de la patiente renvoie-t-il, qu’est-ce qu’il touche ou réveille, etc ?) ; dans la perspective postmoderne que je propose, on n’abandonnera pas cette approche dont l’utilité n’est pas en question, mais on la complétera par un autre questionnement portant sur la patiente elle-même. Peut-être fait-elle tout ce qu’elle peut pour être rejetée précisément parce qu’elle croit qu’elle ne peut être que rejetée ?… On voit comment, dans un cas comme celui-là, le vécu du thérapeute sert à renforcer la croyance profonde de la patiente : « J’ai bien raison de garder mon armure, et de me méfier de ce thérapeute qui me rejettera inévitablement, comme l’ont fait avant lui toutes les personnes de mon entourage ! » Cette confirmation ou ce renforcement n’est certes pas la seule explication du vécu du thérapeute, mais c’est assurément l’une de ses fonctions.

La résonance en supervision et en formation
Mony Elkaïm
Dans Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux 2008/2 (n° 41), pages 119 à 130